Diversification des activités agricoles dans les systèmes d'élevage en zone défavorisée

Martine François

GRET : Groupe de Recherche et d'Echanges Technologiques, 213 Rue Lafayette 75010 PARIS, Francois@globenet.org


Petites et moyennes exploitations disséminées en zone rurale et marchés de niche en zone urbaine ou périurbaine

Dans les zones défavorisées, les activités agricoles d'élevage et de transformation concernent essentiellement de petites et moyennes exploitations. La principale activité de diversification dans ces systèmes consiste à transformer les produits agricoles, principalement le lait en fromage. Les femmes d'exploitants transforment aussi d'autres produits en spécialités locales. Les activités de tourisme rural se développent dans certaines zones. Lorsque l'importance de la production le justifie, les produits peuvent prétendre à un signe de qualité au niveau national (par exemple l'Appelation d'Origine Contrôlée en France) ou au niveau européen (Indication Geographique de provenance, ou attestation de spécificité). Ces signes de qualité sont destinés à préserver la spécificité et la typicité des produits pour les consommateurs, à « créer de la rareté » et donc à maintenir des prix compatibles avec les structures de production, du coté des producteurs.

Ces systèmes de production de produits alimentaires ont deux caractéristiques communes : Le caractère diffus, dispersé en zone rurale, de la production, et la commercialisation sur des marchés de niche. Au niveau de la production, les producteurs sont dispersés en zone rurale, isolés, dans un contexte de production souvent encore individuelle, même si des initiatives collectives (coopératives) ou des entreprises de transformation des produits, qui collectent le lait de plusieurs producteurs, existent et se développent.

La plupart des produits sont écoulés dans le cadre d'une vente locale, par la vente sur les marchés et la vente à la ferme, voire par le réseau relationnel des producteurs. Ces circuits ne concernent cependant pas tous les producteurs, et ne permettent pas d'écouler tous les produits. Selon une étude menée en 1993 dans 4 pays européens, cette vente locale concernerait entre 70 et 85% de la production, en France, en Allemagne et en Belgique (Au Royaume Uni, où les exploitations sont beaucoup plus grandes en moyenne, et plus proches de petites entreprises, elle ne concernerait que 30%).

Le marché de ces produits existe pourtant, et il est en croissance. Une étude du marché des produits fermiers en France, Allemagne, Belgique et Royaume Uni, montre que 35 à 60% de la population sont des consommateurs. Selon une étude d'AND pour la CEE, ce marché des produits de qualité spécifique atteint 10 à 12% du marché alimentaire. Mais la part du marché en progression se situe plutôt en zone urbaine. Il s'agit alors de vendre au consommateur urbain ou périurbain des produits dont la saveur, la typicité, le lien au rural, voire à la région d'origine, à la nature ou à l'environnement préservé sont valorisés, ce qui correspond à des types de production, à des circuits de distribution et à des modes de vente différents de ceux dont les producteurs ont l'habitude.

On assiste en revanche à une relative saturation des marchés locaux si la production de ces produits traditionnels augmente, ne serait ce que parce que l'exode rural limite le nombre des clients potentiels. Or, les producteurs qui veulent générer un revenu de l'activité sont conduits, notamment dans le cadre de l'application des normes européennes, à augmenter la production.

Pour réaliser le potentiel de croissance du marché, la structure de la production, comme celle de la vente, devra donc s'adapter. Sortir d'une production rurale, destinée aux zones rurales, pour proposer des produits adaptés aux circuits de distribution et aux habitudes de consommation des urbains. Ce qui nécessite de profonds changements, déjà largement engagés dans certaines zones, moins dans d'autres. Même sur des marchés de niche, l'offre des produits telle qu'elle existe traditionnellement ne s'adapte pas en effet au consommateur urbain et aux circuits de distribution habituels. La qualité des fromages, leur taille même est hétérogène. Les volumes offerts sont souvent faibles. Le conditionnement n'est pas adapté aux circuits longs. Les ateliers de petite ou très petite taille, et ne satisfont pas en général aux normes européennes. Une structuration de l'offre est nécessaire pour rendre plus homogène la présentation et la qualité des produits, atteindre un volume suffisant pour intéresser des distributeurs, voire concevoir des ateliers aux normes européennes.

Les activités de diversification correspondent aussi à de nouveaux métiers et supposent de nouvelles compétences, de nouveaux savoir faire, de nouveaux circuits d'information, voire même de nouvelles attitudes par rapport à l'environnement. En effet, la collaboration, et l'organisation collective des producteurs devient souvent nécessaire : investissements communs pour la transformation dans le cadre de normes européennes, commercialisation commune des produits, promotion commune, ...

Associer Recherche, développement et formation pour le développement des activités de diversification en zone rurale

Dans ce contexte de changements nécessaires, les acteurs qui développent les activités se heurtent à de nombreuses questions. Leur solution implique à la fois une recherche interdisciplinaire adaptée, la capitalisation d'informations pertinentes et leur mise à disposition des acteurs du développement de ces filières. Ces trois éléments gagnent à être très étroitement liés. L'accès des acteurs aux résultats de la recherche n'est pas aisé. La conception des actions de recherche doit être étroitement liée à leurs préoccupations, prendre en compte les savoir faire existants, et enfin s'accompagner de la conception de leur communication aux utilisateurs.

- Quelles technologies sont disponibles pour concilier la production « diffuse », par de nombreux acteurs isolés en zone rurale, et la commercialisation sur les marchés de niche de produits de qualité ? Les technologies actuellement disponibles portent plutôt sur une production à plus grande échelle, les avancées technologiques qui permettent la production à petite échelle sont récentes. Elles font l'objet, quantitativement, de moins de recherches. Les petites technologies n'intéressent pas les grands groupes industriels agro-alimentaires qui, aujourd'hui, réalisent la plupart des recherches dans ce domaine.

- Quels sont les moyens de concilier produits de qualité, maîtrise technologique, hygiène, et production diffuse et à bas coût en zone rurale ? Une technologie « zéro microbe » est elle la plus sûre pour garantir la santé du consommateur dans ce contexte ? Comment les agriculteurs vont ils pouvoir à la fois satisfaire aux normes européennes et maintenir paysages, emploi et produits locaux, en particulier dans les zones défavorisées ?

- Comment développer le marché de ces produits ? Le comportement d'achat des consommateurs de ce type de produits, particulièrement en vente directe, n'est pas totalement rationnel. Le consommateur de ces produits ne maximise pas son utilité. Il achète un produit alimentaire, et en même temps un peu de région de paysage, voire de lien social avec un producteur. Les modèles classiques de description du comportement du consommateur ne s'appliquent pas tels quels.

- Comment éviter que ces produits ne soient produits plus efficacement par rapport à la grande distribution et à moindre coût par l'industrie, privant là de nombreux producteurs ruraux des moyens de vivre ? Comment utiliser et gérer les signes de qualité pour protéger les produits ?

La diversification des activités pour les agriculteurs en zone rurale défavorisée est une activité d'interface et de médiation. C'est un contact entre deux mondes : le monde rural où s'effectue la production, porteur des valeurs, des symboles, des produits de qualité, et le monde urbain et périurbain, essentiellement, d'où provient, et surtout proviendra demain, la demande pour ces produits (c'est d'ailleurs aussi le cas pour les activités touristiques).

Ces activités ont fait l'objet de peu de recherches, et pourtant, elles sont innovantes, et, à ce titre, les acteurs de terrain se posent de nombreuses questions que le système actuel de recherche, de développement, de formation, ne leur permet pas de résoudre.

Les pistes de solution passent donc non seulement par une recherche interdisciplinaire, mais aussi par une étroite collaboration entre trois mondes : celui de la recherche, où s'élaborent les méthodes, les concepts et les modèles, celui du développement, où se posent les questions pertinentes par rapport aux problèmes des acteurs de terrain, où s'élaborent les premières réponses des professionnels, et celui de la formation, où les informations sont transmises aux acteurs économiques, et où les échanges entre producteurs permettent de comprendre et de valoriser les savoir faire issus de la pratique.


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